Accueil I. Acquisition d'oeuvres

Acquisition d'œuvres de nouveaux médias

Dans un monde en pleine mutation technologique, les muséologues font face à une nouvelle réalité. En effet, les œuvres qui intègrent des composants technologiques posent de nouveaux défis qui génèrent des changements dans les procédures d’acquisition. Les notions de propriété intellectuelle, de conservation et de collaboration avec l’artiste devraient désormais être considérées durant la phase qui précède l’acquisition d’une œuvre de nouveaux médias.

 

Cependant, selon l’enquête Survey of New Media Cataloguing Practices effectuée par le comité Structure de catalogage DOCAM, seulement quelques institutions muséales se sont dotées de politiques et de procédures spécialisées en matière d’acquisition d’œuvres de nouveaux médias, alors que ces œuvres exigent une procédure d’acquisition qui diffère des pratiques traditionnelles. Cette étape importante consiste en l’évaluation des caractéristiques et des besoins d’une œuvre de nouveaux médias à court, moyen et long terme afin de permettre au musée de faire un choix éclairé quant aux acquisitions éventuelles.

 

Étape de pré-acquisition

Le processus de pré-acquisition consiste d’abord à recueillir le maximum de renseignements relatifs à l’œuvre, par exemple :

 

• l’historique de l’œuvre - la biographie de l’artiste, les publications reliées à l’œuvre, l’historique des expositions, etc.;

• les propriétés de l’œuvre - la concordance avec la mission du musée, l’état physique et la qualité de l’œuvre, incluant son impact visuel, son inventivité, son contenu et son importance artistique et historique;

• les aspects financiers - la susceptibilité de générer des redevances par des prêts à d’autres institutions, les coûts liés au transport, à l’installation, à l’entreposage, à la présentation de l’œuvre et à sa conservation,  les droits et les obligations du musée et de l’artiste (ou de son agent);

• la présentation - le plan d’accrochage, l’espace et les constructions requises pour l’installation;

• l’entreposage - un espace spécifique et adapté à l’œuvre (température, humidité et dimensions);

• la conservation de l’œuvre (risques de détérioration);

• la propriété intellectuelle de l’œuvre (droit d’auteur et droit moral).

 

Pour toutes acquisitions d’œuvres de nouveaux médias, les muséologues devraient modifier les procédures habituelles et favoriser une approche qui soit à l’image des nouveaux médias, c’est-à-dire dynamique, interactive et flexible. Il est certain qu’une telle démarche amène à redéfinir clairement les rôles traditionnels des conservateurs, des artistes, du public et du musée, de même que les relations entre ces différents acteurs.

 

Le processus de pré-acquisition des œuvres de nouveaux médias exige une nouvelle expertise. Selon le projet Matters in Media art du New Art Trust, réalisé en association avec le San Francisco Museum of Modern Art, The Museum of Modern Art, de New York, et la Tate Gallery, de Londres, les institutions muséales devraient idéalement former un comité composé d’experts (ex. : conservateur, archiviste des collections, restaurateur, spécialiste en audiovisuel, technicien en informatique, conseiller légal, etc.), afin d’évaluer l’acquisition de l’œuvre sous tous ses angles.

 

Puisque chaque œuvre de nouveaux médias présente des problématiques distinctes et changeantes, trois aspects en particulier méritent d’être considérés.

 

Droit d’auteur

Le premier point, soit le droit d’auteur, est essentiel à considérer, mais surtout lorsque la reproduction et l’appropriation d’éléments variés d’une œuvre de nouveaux médias est en cause. Afin de respecter la propriété intellectuelle, les acquéreurs potentiels devraient :

 

• déterminer si l’œuvre contient des éléments empruntés (extraits vidéo/films, images tirées de la culture populaire, peintures, etc.) et s’assurer que les droits d’auteur aient été libérés;

• vérifier si le droit d’auteur est partagé par plusieurs créateurs (artistes, techniciens, programmeurs, etc.);

• s’assurer que les créateurs ont obtenu une licence d’utilisation pour les logiciels et les codes utilisés.

 

Idéalement, les musées doivent s’assurer que toute œuvre de nouveaux médias soit libérée de droits avant d’en faire l’acquisition. Si l’artiste s’en est abstenu, le musée se voit dans l’obligation d’obtenir la libération du droit d’auteur avant la présentation de l’œuvre. Le musée est tenu d’identifier et de prendre des arrangements nécessaires avec l’un ou l’autre intervenant.

 

Conservation de l’œuvre

Le deuxième point à considérer est la conservation de l’œuvre. Puisque les œuvres de nouveaux médias ont des composants technologiques, les acquéreurs potentiels devraient :

 

• connaître les transformations technologiques que l’œuvre a subies depuis sa création;

• répertorier l’équipement qui devra être acheté ultérieurement par le musée pour l’activation de l’œuvre;

• déterminer l’expertise (interne ou externe) requise pour l’installation et le fonctionnement de l’œuvre dans l’immédiat et dans le futur;

• identifier les risques de détérioration et d’obsolescence des composants et de l’équipement d’opération de l’œuvre (logiciel, lecteur vidéo, ordinateur, projecteur, etc.);

• déterminer le budget requis pour la conservation de l’œuvre - coûts de l’installation, de spécialistes du domaine technologique et informatique, d’achat et de remplacement de nouveaux équipements, ainsi que d’émulation et de migration.

 

Dans le domaine des arts médiatiques, plusieurs supports sont éphémères, de sorte qu’il est nécessaire de définir les techniques futures qui seront les plus appropriées pour la présentation et la restauration des œuvres. Que devront faire les musées quand le logiciel d’une œuvre deviendra illisible, non exploitable ou désuet? Que devront faire les musées pour préserver l’intégrité d’une œuvre d’art? Peuvent-ils remplacer les technologies désuètes comme les tubes cathodiques par des écrans plats sans risquer d’affecter l’authenticité de l’œuvre?

 

Puisque les composants des œuvres de nouveaux médias comportent des risques élevés de détérioration et d’obsolescence, certains musées tendent à adopter de nouvelles politiques d’acquisition, telles que l’acquisition d’œuvres de nouveaux médias pour une période de temps limitée seulement.

 

Collaboration avec l’artiste

Le troisième point consiste en l’importance pour l’institution de collaborer avec l’artiste dans le but de respecter l’intégrité et l’authenticité de son œuvre. Des contacts préliminaires avec ce dernier serviront à clarifier ses intentions et permettront au musée de prendre une décision éclairée quant à l’acquisition de son œuvre. Idéalement, le musée devrait :

 

• comprendre le concept et l’expérience du spectateur tels que voulu par l’artiste;

• s’informer auprès de l’artiste des conditions de présentation optimales de l’œuvre;

• vérifier s’il existe d’autres éditions de l’œuvre et si d’autres versions peuvent éventuellement être créées;

• connaître l’implication et la disponibilité de l’artiste pour l’installation et la conservation de l’œuvre;

• considérer les décisions à long terme relatives à l’œuvre en cas du décès de l’artiste.

 

Dans le cas d’une acquisition, un contrat entre l’artiste et l’institution devrait être rédigé afin de respecter l’intention de l’artiste et déterminer les différentes options liées à la présentation et à la préservation de l’œuvre. Certains artistes sont plus réceptifs que d’autres à propos des décisions prises pour la présentation et la conservation de leurs œuvres, y compris les mises à jour techniques, tout particulièrement dans le cas d’une œuvre basée sur un concept plutôt qu’une technologie. D’autres artistes se montrent peu disposés au changement, auquel cas une duplication parfaite de leur œuvre sera la seule méthode de préservation appropriée. Il est donc impératif que chaque œuvre soit traitée au cas par cas tout en privilégiant un esprit de collaboration entre l’artiste et le musée. Conséquemment, le musée devrait envisager dès les premiers entretiens toute éventualité relative à l’œuvre.

 

Conclusion

Les arts médiatiques ont un impact sur le catalogage, la présentation et la conservation des œuvres. Les œuvres de nouveaux médias rendent aujourd’hui le travail des muséologues plus complexe dans l’évaluation des questions techniques, légales et éthiques. Tout ce qui concerne l’étape préliminaire de pré-acquisition représente le début d’un processus continu dont les musées bénéficieront. Si cette démarche est bien effectuée, elle permettra d’éviter plusieurs situations problématiques et facilitera la gestion des collections à court, moyen et long terme.

 

 

Elaine Tolmatch, coordonnatrice aux demandes de subventions auprès des gouvernements et des fondations

et Claudia Parent, assistante de recherche DOCAM