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Machine for Taking Time, David Rokeby

 

David Rokeby, Machine for Taking Time
David Rokeby, Machine for Taking Time, Installation, 2001, Gairloch Gallery, Oakville. Photo © 2007, Oakville Galleries.

 

Machine for Taking Time est une installation de l'artiste canadien David Rokeby. En mai 2007, Richard Gagnier et Ariane Noël de Tilly du comité restauration/conservation du DOCAM ont mené une entrevue avec l’artiste. L’œuvre a été commandée par la Galerie d’Oakville pour l’exposition Earthly Delights / Deep Gardening organisée par Su Ditta. L’œuvre a été réalisée entre 2001 et 2004 et a été acquise ensuite par la galerie.

 

Le 28 mars 2001, David Rokeby a installé une caméra de surveillance dans le jardin du pavillon Gairloch de la Galerie d’Oakville. Chaque jour, la caméra capte 1079 images; ces images sont captées sur une trajectoire en boucle que la caméra suit de façon continue, avec des positions fixes de prise d’image. La caméra maintient chacune de ces positions pendant 4 secondes, ce qui signifie que la totalité du parcours prédéterminé dure un peu plus d’une heure. La caméra de surveillance est reliée à un ordinateur. Chacune des images est intégrée à une base de données. Les images captées sont par la suite projetées sur un écran qui est suspendu au plafond dans le pavillon Gairloch de la Galerie d’Oakville. L’écran est placé devant les fenêtres qui donnent sur l’extérieur, ce qui permet aux visiteurs de constater que les images projetées ont été saisies dans le jardin entourant le bâtiment.

 

Le logiciel Max/MSP [1] et les objets de softNVS 2 [2] sont programmés pour faire une « synthèse » de ces images et les présenter de quatre manières différentes : reprendre le trajet suivi par la caméra et présenter les images recueillies lors d’une seule journée; fusionner des séquences au jour le jour tout en progressant le long du trajet suivi par la caméra; fusionner les images d’une date à l’autre au hasard; et enfin arrêter le mouvement le long du trajet et montrer, selon une succession rapide, toutes les images prises à partir de cette position [3]. Toutes ces possibilités sont réalisées de manière aléatoire, ce qui signifie que le « montage » des images projetées ne se répète jamais et se fait en continu et en temps réel pendant la présentation de l’œuvre.

 

Dans le contexte du projet DOCAM, l’intérêt pour cet artiste est que nombre de ses œuvres importantes lui appartiennent toujours et que, de ce fait, il se questionne sur la longévité technologique de celles-ci et de leur rapport à l’authenticité et à l’originalité de leurs manifestations.

 

Premier problème : préserver les fonctions opérationnelles du programme informatique

Machine for Taking Time a été créée avec le logiciel Max/MSP de la compagnie Cycling’74 et les objets de softNVS 2, qui est un logiciel qui consiste en des objets programmés par Rokeby pour compléter le logiciel Max/MSP. softVNS 2 présente les caractéristiques suivantes : il est très stable; il a des fonctions d’alignement (tracking) étendues [captation du mouvement en temps réel, alignement de couleur (colour tracking), centrage des têtes (head tracking), etc.]; il a une capacité vidéo de 640 x 480 pixels; et il est compatible avec les interfaces Mac OS 9 et Mac OS X. Rokeby a commercialisé son logiciel, mais il continue de créer de nouveaux objets, lesquels ne sont pas toujours rendus publics, comme c’est le cas pour les objets créés spécifiquement pour les besoins de Machine for Taking Time à Oakville.

 

'v.gairlochbuffers' et 'v.gairlochclient' sont des versions d'objets softVNS appelés ‘v.buffers' et ' vbuffertap’, lesquels ont des fonctions très similaires sauf pour le fait que ‘v.gairlochbuffers’ et ‘v.gairlochclient’ stockent des informations supplémentaires dans le fichier rattaché à chaque image concernant la fonction d'alignement. Une fois que l'image est alignée, celle-ci dispose de l'information supplémentaire contenue dans le fichier qui lui est attaché et auquel l'ordinateur peut alors accéder pour déplacer l'image selon cette orientation avant le début du programme afin de maintenir un glissement fluide et continu de la séquence paysagère. Francine Périnet, directrice des Oakville Galleries entre 1992 et 2009, mentionne à ce sujet que le logiciel a été raffiné, que les changements au logiciel reflétaient le travail continuel de l’artiste sur l’œuvre et tenaient compte de la somme d’images ajoutées à la banque de données et des nouvelles possibilités de programmation [4].

 

Le processus de création est intégré à l’œuvre, d’où la nécessité de préserver les fonctions du programme opérationnelles. Le but idéal pour l’artiste serait de préserver le programme opérationnel le plus longtemps possible ceci en effectuant des migrations successives.

 

Problèmes déontologiques

L’authenticité et l’intégrité

Dans le cadre de l’entrevue menée par Richard Gagnier et Ariane Noël de Tilly [5], l’artiste mentionne quelques éléments qui participent à l’authenticité de l’œuvre et qu’il faudrait préserver dans le cas de Machine for Taking Time. Pour de futures présentations, il s’agit de s’assurer que l’œuvre soit toujours présentée devant une fenêtre, comme à Oakville où l’œuvre a été initialement créée. Ensuite, il s’agit de maintenir la taille de projection proportionnelle à l’échelle d’une fenêtre; il ne serait pas approprié de projeter l’œuvre sur une surface très large. Maintenir les mécanismes de fonctionnement et de déplacement de la séquence imagée de l’œuvre dans le temps serait également un aspect important qu’il faudrait préserver. Ces mécanismes consistent à : maintenir la vitesse de déplacement à travers les images à une cadence ralentie afin de bien discerner les détails et les transitions, faire une « synthèse » des images et les présenter selon les quatre modes opératoires définis par l’artiste. Toutes ces possibilités sont réalisées de manière aléatoire, ce qui signifie que le « montage » des images projetées ne se répète jamais.

 

Afin de garder une trace du déroulement de l’œuvre et des mécanismes voulus par l’artiste, Rokeby suggère de créer une version permanente de l’œuvre (d’une durée de deux heures) qui pourrait être contenue dans un support DVD. Ceci pour garantir la pérennité de l’œuvre en cas d’obsolescence ou d’impossibilité de garder le système opérationnel. Une documentation vidéo pourrait être ainsi créée en enregistrant la sortie vidéo directement à partir de l’ordinateur. Cette version ne donne pas une idée du déploiement de l’œuvre sur une large période de temps, mais elle offre le même résultat pour ce qui est de l’expérience pour une personne qui voit l’œuvre pour la première fois. L’intégrité de l’œuvre serait ainsi maintenue par ce compromis. Enfin, pour l’artiste l’authenticité des équipements n’est pas essentielle. Il serait ainsi possible de remplacer les équipements défectueux ou obsolètes par des technologies plus récentes et plus adaptées, permettant de maintenir le mode opératoire de l’œuvre.

 

Problématiques particulières à ce cas

L’émulation

L’artiste est très conscient de la fragilité des processus et des problèmes liés à la conservation de l’œuvre, mais ces problèmes ne devraient pas selon lui en définir le mode de création. Toutefois, il s’engage à faire plus attention et à trouver des moyens pour prévenir de tels problèmes dans le futur. L’artiste a été soulagé, lors de la rétrospective qui lui a été consacrée à Liverpool en 2007, de constater que presque toutes les œuvres qui étaient présentées fonctionnaient parfaitement par suite de l'émulation. Il n’a donc pas été obligé de traduire ou de reconstruire toutes ses pièces historiques.

 

Il existe cependant des cas où l'émulation ne fonctionne pas. Puisque l’artiste a un intérêt à long terme dans l'utilisation de nouvelles machines et qu’il ne veut pas renoncer à la propriété des outils les plus importants qu’il utilise, il pense continuer à développer softVNS 2. Il existe d'autres produits comme Jitter par exemple lequel fonctionne dans Max/MSP qui fait du traitement vidéo et qui est capable de faire la plupart des choses, mais pas entièrement, que son logiciel peut faire. Dans de nombreux cas, une œuvre pourrait être émulée dans Jitter au lieu de softVNS 2 et ne différerait que sur le plan de la vitesse sur un ordinateur plus rapide, ce qui est acceptable pour l’artiste. Il existe toutefois des procédés que l’artiste a créés et qui seraient plus difficiles à actualiser.

 

La reconstruction

Rokeby a créé une version spéciale de softVNS 2, conçue comme une bibliothèque permettant de travailler avec d'autres applications. Avec cette version, surtout dans les cas les moins compliqués, il est possible de définir des comportements propres à l’œuvre. Ces bibliothèques permettent ainsi de construire une application pour reconstituer l’œuvre sans utiliser Max/MSP en cas de non-disponibilité de ce logiciel. Machine for Taking Time est conçue de sorte qu’elle peut être décrite telle une suite d’équations.

 

À plus long terme, Rokeby pense qu’il est toujours préférable de posséder autant que possible le code qui permet le fonctionnement de ses œuvres, afin qu’il puisse les reconstituer à l'avenir si une occasion se présente ou que des restaurateurs puissent les reconstruire à l’avenir. L’artiste n’est pas à l’aise avec l’idée de vendre une œuvre à quelqu'un qui aurait des attentes à long terme pour sa longévité, si elle est fondée sur un logiciel qui par exemple nécessite une autorisation ou que la compagnie qui le produit disparaît un jour.

 

Penser dans l’optique de la conservation a finalement permis à l’artiste de prendre des décisions éclairées. Par exemple, pour chacun des objets créés, en particulier ceux qui sont dans des pièces que l’artiste vend, ces objets sont munis d’une description schématique. Le programme pourrait également être écrit dans un langage universel (code C pur), afin qu’il puisse être lu dans n'importe quelle version de l'algorithme de la machine, ce qui rendrait le travail beaucoup plus facile dans le cas d’une reconstruction.

 


[1] Max/MSP est un logiciel musical permettant de faire de la synthèse sonore, de l'analyse, de l'enregistrement, ainsi que du contrôle d'instrument MIDI. Développé par l'IRCAM dans les années 1980, il est l'un des logiciels musicaux parmi les plus utilisés par les musiciens professionnels et les amateurs. Max/MSP est le fruit de l’association deux logiciels : Max et MSP. Max est un logiciel qui permet de faire des calculs mathématiques et , par extension, de pouvoir contrôler en temps réel les instruments MIDI. MSP est une bibliothèque de fonctions qui , ajoutée à Max, permet de travailler en temps réel avec le signal audio (DSP).

http://fr.wikipedia.org/wiki/Max/MSP

[2] "SoftVNS 2 is a set of external objects for MAX/MSP that allows you to process video in real-time".

http://homepage.mac.com/davidrokeby/softVNS.html

[3] David Rokeby, "Installations: Machine for Taking Time (2001-4)", http://homepage.mac.com/davidrokeby/machine.html.

[4] Courriel envoyé par Francine Périnet le 19 mars 2007.

[5] Voir Richard Gagnier et Ariane Noël de Tilly, "Entretien avec David Rokeby", 2009, https://www.fondation-langlois.org/html/f/page.php?NumPage=2162.