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Nu•tka•, Stan Douglas

 

Stan Douglas, Nut•ka•, 1996

Stan Douglas, Nut•ka•, 1996

Stan Douglas, Nut•ka•, 1996, Installation vidéographique, Musée des beaux-arts du Canada. Photo © 1997, MBAC.
Stan Douglas, Nut•ka•, 1996, Installation vidéographique (détail), Musée des beaux-arts du Canada. Capture de la monobande © 1997, MBAC.

 

Nu•tka• de l’artiste canadien Stan Douglas a été réalisée en 1996 et achetée par le MBAC l’année suivante. L’œuvre a été choisie pour une étude de cas, car le projecteur qui servait à la mettre en vue est maintenant obsolète et doit être remplacé. Qui plus est, ce type de projecteur a un impact sur la définition et la lisibilité de l’image, cet effet participant de l’aspect conceptuel de l’œuvre.

 

Nu•tka• est une monobande de 6 minutes 45 secondes projetée dans une salle sombre, accompagnée d’une bande sonore en tétraphonie (quatre canaux). Stan Douglas a filmé deux séquences différentes du même paysage de la région britanno-colombienne de Nootka Sound. Une image vidéo est composée de l’entrelacement de 485 lignes horizontales réparties sur deux trames (une des lignes est impaire et l’autre paire), Stan Douglas a enlevé les lignes paires de l’une des séquences et les lignes impaires de l’autre et a assemblé les deux séquences pour en former une nouvelle. L’image ainsi obtenue est difficile à saisir puisqu’elle présente deux paysages différents à la fois. Des dialogues simultanés, mais différents d’un capitaine anglais et d’un commandant espagnol sont diffusés dans la salle (la voix de l’un à l’avant et la voix de l’autre à l’arrière). À six moments durant la vidéo, les deux séquences présentent exactement la même image et le même son (le texte des dialogues, prononcé à l’unisson, est le même pour les deux officiers).

 

Stan Douglas, Nut•ka•, 1996

Stan Douglas, Nut•ka•, 1996. Exemple de la modification des lignes paires et impaires d'un entrelacement. Dessin © 2009, Alexandre Mingarelli, MBAM.

 

Premier problème : L’obsolescence des tubes cathodiques.

L’œuvre a été initialement présentée avec un projecteur tritube cathodique de marque Barco qui est depuis devenu obsolète. Le coût très élevé et la faible disponibilité de ce type de technologie rendent le rachat d’un tritube difficile et peu viable dans un plan de conservation à long terme.

 

Afin de remplacer le Barco, des tests ont été réalisés avec des projecteurs à cristaux liquides (ACL, LCD), mais l’effet visuel d’entrelacement des deux séquences imaginé par Stan Douglas n’était pas réussi : les pixels étaient trop apparents, l’image floue et peu brillante. En raison de sa pixellisation apparente, la technologie LCD n’est pas appropriée à la diffusion d’une œuvre offrant une image détaillée comme dans Nu•tka•. Des tests avec des projecteurs DLP (Digital Light Processing™) ont donné de meilleurs résultats, mais sans être satisfaisants.

 

Contrairement aux projecteurs DLP et LCD qui utilisent une technologie d’affichage matricielle (numérique) dont la résolution native est fixe, le Barco fonctionne dans un mode analogique et peut rendre la résolution telle qu’elle est enregistrée sur le support de présentation. Dans un mode de fonctionnement dit analogique, le projecteur n’a pas besoin de faire une mise à l’échelle systématique du signal vidéo entrant. Les projecteurs numériques (DLP/LCD) réinterprètent et mettent à l’échelle la résolution des images de Nu•tka• en procédant par interpolation (en ajoutant des pixels intermédiaires aux côtés de ceux existant afin de remplir la matrice d’affichage qui est fixe). Cette interpolation altère l’effet d’entrelacement des deux séquences.

 

Problèmes déontologiques

La migration par l’artiste

Stan Douglas a déjà entrepris la migration technologique de son œuvre. Nu•tka• était initialement présentée avec un vidéodisque (disque laser), mais, en 2003, l’artiste a remplacé cet équipement par le format DVD. Ainsi, il profite d’une nouvelle technologie lui offrant une meilleure qualité d’image et surtout une meilleure qualité sonore (quatre canaux numériques au lieu de deux analogiques + deux numériques). Cette migration permet également d’alléger l’installation sonore qui se libère d’un amplificateur, d’un diviseur et d’un égalisateur. Elle entraine également le changement des enceintes acoustiques et, évidemment, celui du lecteur.

 

Stan Douglas n’a pas été en mesure de migrer d’une manière satisfaisante le projecteur tritube vers une nouvelle technologie. Mais avec l’ajout d’un convertisseur (scan converter) externe de qualité, il est possible de présenter l’œuvre avec un projecteur DLP et même un LCD. Cet équipement fait la conversion de résolution à la place de l’électronique intégrée du projecteur et le résultat représentant l’effet visuel initial de l’image est plus réussi.

 

L’authenticité et l’intégrité

Stan Douglas n’a pas été en mesure de compléter la migration de son œuvre; les nouveaux projecteurs en compromettaient l’intégrité. L’artiste a choisi une stratégie d’émulation comme étape transitoire à la migration intégrale. Pour compléter cette migration de l’équipement, il a fallu en quelque sorte émuler, à l’aide du scan converter, le signal vidéo pour qu’il puisse s’afficher comme en 1996. Il est à prévoir, dans un futur plus ou moins éloigné, que l’électronique dédiée au traitement du signal vidéo des vidéoprojecteurs s’améliore considérablement, et qu’ainsi il ne sera peut-être plus nécessaire d’utiliser un scan converter afin de présenter convenablement Nu•tka•. Nous pourrons alors parler à ce moment d’une migration et non plus d’une émulation.

 

Puisque l’interpolation modifie la résolution de l’image en ajoutant des pixels qui n’existaient pas au départ, l’authenticité de l’œuvre s’en trouve atteinte – sans trop de conséquences cependant, puisque son effet demeure pratiquement imperceptible. On peut toutefois supposer que pour un œil très exercé cette interpolation brouille les pistes qui permettent de rattacher l’œuvre à son ancrage historique technologique de 1996 puisque l’interpolation permet, dans une certaine mesure, d’obtenir une image d’apparence plus moderne. La perte d’authenticité qu’occasionne la migration est sans grande conséquence tant et aussi longtemps que l’intégrité de l’image est maintenue.

 

Problématiques particulières à ce cas

L’interpolation

Nu•tka• met en lumière le phénomène de l’interpolation dans le contexte de la conservation. L’interpolation agit en augmentant la résolution d’une image et pour ce faire elle doit créer de nouvelles informations qui sont le résultat d’un algorithme mathématique. L’interpolation ajoute de nouveaux pixels au moyen de certaines méthodes de manipulation mathématique des valeurs des pixels environnants. Cette technique a pour but, dans la plupart des cas, d’adapter une image de résolution moindre à une matrice d’affichage de résolution plus élevée.

 

L’interpolation est souvent perçue comme une amélioration de l’image, mais, dans un contexte de conservation, elle est considérée comme destructrice si elle est exécutée sur un support source. Elle modifie l’image d’origine en lui ajoutant de nouvelles informations. Nous constatons que si elle est mal exécutée comme dans Nu•tka•, son effet devient indésirable puisqu’il compromet de manière importante l’intégrité de l’œuvre en plus d’en altérer l’authenticité.

 

L’émulation pour la migration

Stan Douglas a manifesté son désir de faire migrer les équipements de son œuvre vers de nouvelles technologies, plus performantes et plus faciles à se procurer. L’émulation est utilisée ici comme stratégie transitoire vers la migration puisque les projecteurs actuels ne permettent pas encore de rendre correctement l’effet d’entrelacement de Nu•tka•.