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2.2 Les supports de contenu

2.2.2 Mode numérique : Vidéo numérique

 

À première vue, on pourrait croire que les œuvres numériques (photo, vidéo, logiciel, etc.) n’ont nul besoin d’être l’objet d’une réflexion de leur préservation, puisqu’il suffit en apparence de recopier un fichier sur un support quelconque pour en préserver son intégralité. L’utilisateur d’un ordinateur fait cette opération plusieurs fois par jour, souvent sans même se questionner sur la possibilité de compromettre l’intégralité du fichier; il grave un DVD de photographies, transfère un document texte, sauvegarde un courriel, copie des fichiers sur une clé USB. Dans un contexte de préservation, ces opérations comportent des risques. Par exemple, en compressant un fichier on altère sa composition, et en le migrant d’un format à un autre on risque de perdre ses métadonnées.

 

Il est nécessaire de considérer que les images et documents audiovisuels sur support numérique peuvent provenir de deux formes de support. Ils peuvent avoir été créés à partir d’un support analogique comme la pellicule argentique, puis numérisés dans un format numérique, ou encore, ce qui est de plus en plus courant, ils peuvent avoir été créés directement sur support numérique. Dans ce dernier cas, il est possible de parler d’œuvres d’origine numérique (born digital).

 

S’il est très souvent recommandé de numériser les documents analogiques afin de les préserver (car ils sont trop fragiles ou obsolètes), le document numérique doit lui-même être préservé. Il est ainsi important de mettre en place des stratégies de préservation qui assureront la pérennité de ces documents, qu’ils soient d’origine numérique ou non.

 

Les documents numériques sont exposés principalement aux risques liés aux changements technologiques des supports (incluant les lecteurs de support) sur lesquels ils sont stockés et de l’évolution de leurs formats d’encodage et de compression.

 

La vidéo numérique

 

La vidéo numérique enregistre et encode les images en mouvement en une série de 0 et de 1. Cela signifie que l'information enregistrée est stable. Si une perte d’information se produit, elle peut facilement être contrôlée par des systèmes de correction d’erreurs qui agissent en transparence pour l’utilisateur. Contrairement à l’analogique, une duplication sera identique à l’originale, sans bruit, ni distorsion. Par contre, si on essaye de copier sur un support numérique du matériel de mauvaise qualité à l’origine, cela n’améliore en rien la qualité de la vidéo; toutefois elle permettra de rendre le matériel plus stable à plus long terme. Les avantages du numérique pour la préservation sont appréciables, mais il ne faut pas oublier que l’enregistrement de l’image matérielle ainsi que sa restitution sont analogiques et qu’il ne peut en être autrement. Le numérique fera donc une conversion de l’objet analogique vers le numérique; si cette conversion est de mauvaise qualité, le résultat s’en ressentira. C’est pourquoi il faut privilégier un échantillonnage précis, c’est-à-dire avec une fréquence élevée.

 

Bien que l'information numérique soit réduite à des numéros, il n’en demeure pas moins que la cassette ou la bande qui détient le signal sont des objets sujets à l’usure et aux bris mécaniques. Il faut donc les manipuler avec précaution.

 

À l’heure actuelle, les formats qui sont les plus utilisés par les artistes dans la vidéo numérique et qui méritent une réflexion pour leur préservation sont les formats de la famille DV et le Digital8.

 

DV et MiniDV

 

Cassette MiniDV

Aussi connu sous l’appellation DVC (Digital Video), le DV est le premier format numérique à percer de façon convaincante le marché domestique et professionnel pour devenir un standard universel. Ce format enregistre l’information vidéo par le truchement d’un algorithme de compression normalisé de type M-JPEG dans un ratio de 5:1. C’est le format DV qui forme les bases technologiques des formats populaires MiniDV, DVCAM, DVCPRO et Digital8. En fait, les spécifications et traitements vidéo du MiniDV et du DVCAM sont identiques; la différence réside dans la bande vidéo et sa gestion.

 

Le format MiniDV (bande ¼ de pouce, taille S) est un format introduit en 1995 et les lecteurs sont aujourd’hui facilement disponibles. La cassette miniDV utilise la même bande et le même type de compression de signal que les cassettes DVCAM, mais elle enregistre à des vitesses différentes. La cassette MiniDV peut être lue par la plupart des lecteurs DVCAM et DVCPRO, mais des bandes enregistrées en DVCAM ou DVCPRO ne peuvent pas être lues par un lecteur ou une caméra vidéo MiniDV.

Le format MiniDV a été développé pour les marchés industriels, de l'éducation et grand public. Il a été largement utilisé par les artistes et les militants associatifs, tant dans le secteur éducatif que dans la production indépendante. Sa petite taille (65 × 48 × 12 mm) et sa bonne qualité visuelle a rendu ce format populaire surtout pour l'acquisition sur le terrain (enregistrement caméra).

 


Sur le plan des caractéristiques matérielles, la bande numérique a les mêmes problèmes de dégradation qu’une bande analogique. La petite taille de sa bande la rend plus fragile que les autres formats puisqu’elle peut se froisser plus facilement lors d’une lecture avec arrêt et marche arrière. Un bris matériel sur une bande MiniDV compromet l’intégrité d’un plus grand nombre de données qu’un même bris sur une bande DVCAM ou DVCPRO, car l’information est plus densément enregistrée sur la bande MiniDV. Le format MiniDV n'en est pas un d'archivage vidéo et la migration vers des formats plus récents est donc à considérer.

 

DVCAM

 

Cassettes DVCAM

DVCAM est un format introduit en 1996 et les lecteurs sont facilement disponibles. Il s’agit d’une déclinaison du format DV. Le format DVCAM a été développé par Sony pour les marchés industriels, éducatifs et professionnels. Il a été largement utilisé pour la collecte de nouvelles, la télévision par câble, et dans le domaine de la production. Il est également utilisé par les artistes et les producteurs indépendants, en particulier pour les documentaires. La longueur maximale de la bande sur une seule cassette est de 184 minutes. Les cassettes se présentent sous deux formats, une petite (S) et une grande (L) dont la capacité est conséquente à leur taille (40 minutes pour les petites cassettes).

 

Sur le plan des caractéristiques matérielles, la bande numérique a les mêmes problèmes de dégradation qu’une bande analogique. Toutefois, le DVCAM est un format dont la cassette est plus robuste, puisqu’elle est destinée à un usage professionnel [1]. Le défilement de sa bande est plus rapide que le DV, l’information y est donc moins dense. Ainsi, un bris de la bande aura moins de conséquences sur l’intégrité de l’information, qu’un bris sur le format DV. Le DVCAM est rétrocompatible (la plupart des lecteurs) avec le DV et DVCPRO. N’ayant pas toutes les caractéristiques d’un format d’archivage, le DVCAM est cependant un format assez robuste et stable pour ne pas exiger dans l’immédiat une migration.

 

DVCPRO

 

Cassette DVCPro

Le DVCPRO est une autre amélioration du format DV; il présente plus d’améliorations que le format DVCAM en présentait par rapport au DV. Philippe Bellaïche parle d’un niveau de fiabilité et de performance égal à celui de l’industrie de la télévision [2]. Les seuls changements par rapport au DVCAM concernent la structure d’échantillonnage, la densité d’information et l’enduction magnétique de la bande [3] qui en font un format robuste, c’est-à-dire plus résistant au bris entrainant une perte d’information que le DV et DVCAM. Le DVCPRO se décline en deux formats : le DVCPRO25 et le DVCPRO50. Ce dernier est une évolution du premier qui se distingue par un échantillonnage 4:2:2 par rapport à 4:1:1 et par un taux de compression qui passe à 3,3:1. La qualité de l’image du DVCPRO50 se compare à celle du Betacam numérique [4]. Le DVCPRO est rétrocompatible avec le DV et DVCAM. Le DVCPRO 50 est le meilleur format de la famille DV.

 

Digital8

 

Cassette Hi8

Le digital8, introduit par Sony en 1999, peut être considéré comme un format de transition entre l’analogique et le numérique. Ce format qui reprend les spécifications du DV se distingue en utilisant des cassettes Hi8. Ce simple changement par rapport au DV permet de réduire considérablement les coûts et fait en sorte que ce format devient populaire auprès des artistes qui apprécient également la rétrocompatibilité avec le 8 mm et Hi8.

 

Les cassettes étant de plus grande taille que celles du DV, elles n’en sont que plus robustes. Sony ne commercialise plus de caméscopes Digital8 [5]. Bien qu’il soit possible d’utiliser des cassettes 8 mm pour un enregistrement Digital8, Sony recommande l’utilisation exclusive de cassettes Hi8 [6].

 

La compression

 

La compression des fichiers permet d’optimiser l’entassement de l’information sur un support donné. Elle permet ainsi, par le sacrifice d’une certaine quantité d’information altérant plus ou moins la qualité de l’image et ou du son, d’emmagasiner un plus grand nombre de données compréhensibles (en termes de temps de lecture pour un fichier vidéo et ou audio) sur un support dédié ou non. La compression permet également de réduire le débit d’information à traiter. Plus le débit est important, plus la machine qui devra décoder, traiter et lire l’information devra être puissante et coûteuse. La pratique la plus répandue dans les contextes de l’industrie professionnelle, de la conservation ou de l’archivistique consiste à trouver un juste milieu entre un faible débit et une bonne qualité d’image.

 

Pour réduire la taille et le poids de certains formats numériques, le format DV en particulier utilise la compression pour enregistrer et réduire l'information. La compression reproduit efficacement certaines parties immuables dans l'image plutôt que de stocker ce qui semble être la même information. Cela permet de stocker le plus d’information possible sur l’espace réduit de la bande et d’interrompre facilement le signal.

 

Dans un contexte idéal de conservation, il ne devrait pas avoir de compression. Cependant, des formats offrant de telles capacités sont inexploitables dans la réalité pour les institutions. Examinons quelques exemples de formats non compressés. Le D-VHS (Digital-VHS) n’a jamais su s’imposer dans le commerce et est en voie d’obsolescence. Le D5 ou le format haute définition D6 (voodoo), sont des formats qui n’ont jamais su prendre leur place dans le commerce et l’industrie en raison de leurs coûts prohibitifs. Ils sont peu ou pas utilisés et sérieusement menacés d’obsolescence.

 

La relative nécessité de compresser

Au fil des ans, la capacité des supports de stockage tend à augmenter toujours plus, quel que soit le support. À titre d’exemple, les disques durs de 1979 pouvaient offrir des capacités de 5 Mo pour environ 1 500 $ (300 $ le mégaoctet) [7]; 30 ans plus tard on peut trouver dans le commerce des disques durs de 1,5 To (1 500 000 Mo) pour environ 180 $ (0,00012 $ le mégaoctet) [8]. Entre ces deux pôles, les disques durs ont connu une croissance quasi linéaire et il est possible d’envisager que cette tendance se poursuive. Ce type de support est donc aujourd’hui très abordable et permet d’emmagasiner plusieurs fichiers volumineux.

 

Formats d'archivage

 

Lorsqu’on travaille avec la vidéo numérique, on doit toujours penser à copier ou à « migrer » la vidéo sur une Betacam numérique [Digital Betacam] [9], connue également sous le nom Digibeta. En effet, la Betacam numérique compresse légèrement, considérablement moins que le format DVCAM, et la bande est physiquement plus stable et plus robuste (½ pouce). Une politique d'archivage de la Betacam numérique a été adoptée par plusieurs galeries possédant des collections d'art vidéo, notamment la Tate au Royaume-Uni, la Fondation de la conservation de l'art moderne aux Pays-Bas [10] ainsi que le Musée des beaux-arts du Canada. Les bandes ainsi que les lecteurs de Betacam numérique sont cependant très dispendieux. De nombreuses archives utilisent le format analogique Betacam SP. Ce dernier permet un enregistrement de haute qualité, mais sa durée de vie est difficile à établir.

 

Betacam numérique (Digital Betacam)

Le Betacam numérique qui a un excellent taux de compression (2:1) est un format de référence en production et postproduction télévision. Il ne pose pas de problème d’obsolescence. Introduit en 1993, ce format lit également le Betacam et le Betacam SP. C’est un format robuste qui est indiqué pour l’archivage. Selon les ressources de l’institution, les migrations d’un format comportant des risques dûs à l’obsolescence peuvent être réalisées sur le Betacam numérique ou sur un système de serveurs (emmagasinage sur disques durs).

 

En cas d’impossibilité d’enregistrer en Betacam numérique, le choix du DVCAM ou du DVCPRO est à privilégier au MiniDV - la différence est substantielle. Cependant, ces formats dont la largeur de bande est petite sont potentiellement vulnérables aux dommages matériels; il est ainsi conseillé d’en faire une seconde copie à placer dans un endroit différent. Afin de réaliser des copies à partir de bandes analogiques, à des fins de conservation, soit sur Betacam numérique, DVCAM ou en DVCPRO, on doit passer par un processus de numérisation [11].

 

Quel que soit le format utilisé, il sera probablement nécessaire de migrer la vidéo à une nouvelle bande, voire un nouveau format, après plusieurs années. Il est généralement suggéré de transférer les vidéos sur de nouvelles bandes à peu près tous les sept ans [12].

 

Conservation préventive

 

Les pratiques de conservation généralement acceptées préconisent que les bandes doivent être stockées à la verticale sur des étagères métalliques dans l’obscurité, loin des champs magnétiques. Le lieu d'entreposage doit être propre, sécuritaire, frais et sec. Les normes pour le stockage de la bande vidéo sont fixées par l'Organisation internationale de normalisation (International Organization for Standardization : ISO 18923:2000) et sont résumées dans le document « Fact Sheets Videotape Preservation [13] ».

 

« Les conditions d’entreposage idéales à long terme de bandes magnétiques à base de polyester, comme les bandes vidéo, sont les suivantes : 20° C (68 °F) et 20-30 % d'humidité, 15 °C (59 °F) et 20-40 % d'humidité; ou 10 °C (50 °F) et 20-50 % d'humidité. La meilleure température de stockage à long terme est d'environ 8 °C (46 °F) (jamais en dessous) et 25 % d'humidité. La variation d'humidité doit être inférieure à ± 5 % et la variation de température doit être inférieure à ± 2° C (± 4° F) dans une période de 24 heure [14]. »

 

Conditions d’entreposage idéales des bandes vidéo

 

Température maximum Taux d’humidité relative

20 °C / 68 °F

20 % - 30 %
15 °C / 59 °F 20 % - 40 %
10 °C / 50 °F 20 % - 50 %

 

Prévisions pour le futur

 

L'information et les recommandations de préservation et d’archivage de la vidéo sont constamment en développement. Le format DVCAM a été introduit en 1995; est-ce que cela signifie que ce format est déjà obsolète et qu’on doit penser à le remplacer bientôt? Est-ce que le format Betacam numérique sera bientôt dépassé? La haute définition (HD) [15] ainsi que les technologies Blu-ray [16], actuellement en développement, apporteront-elles les changements escomptés?

 

Tel est l’état actuel des lieux lorsque l’on travaille avec la vidéo numérique : changement, développement et instabilité. Il serait donc inapproprié dans ce contexte de donner des recommandations précises à ce sujet. On pourrait toutefois parler des tendances et des stratégies en cours, et apprendre à travailler avec les informations dont on dispose aujourd’hui, sans pour autant perdre de vue les possibilités de changements dans le futur. Les décisions qui doivent être prises doivent inclure les changements possibles qui devraient survenir dans le futur et comment ceux-ci pourraient influencer l’approche globale de préservation de ces technologies.

 

 


[1] Le DVCAM a été prévu pour des conditions de montage où la bande vidéo est mise à rude épreuve par des défilements rapides et des pauses répétées.

[2] Philippe Bellaïche, Les secrets de l’image vidéo, Paris, Éditions Eyrolles, 2007, p.399.

[3] Le revêtement magnétique au métal évaporé du DV et DVCAM fait place aux particules métalliques (standard de l’industrie de la télévision) pour le format DVCPRO. Avec l’enduction aux particules métalliques, la rémanence et la coercitivité sont améliorées. Aussi, la bande est plus épaisse, donc plus résistante.

[4] Philippe Bellaïche, Les secrets de l’image vidéo, op.cit., p.399.

[5] Sony, "Digital 8", http://www.sony.fr/product/sdh-digital-8.

[6] Sony, "Mode d'emploi du caméscope", http://pdf.crse.com/manuals/2515260241.pdf.

[7] PC INpact, "Seagate passe la barre symbolique du milliard de disques durs", http://www.pcinpact.com/actu/news/43289-Seagate-symbole-1-milliard-disques-durs.htm.

[8] Prix en vigueur dans un magasin grande surface de Montréal au mois de juillet 2009.

[9] Le "Digital Betacam" (Betacam numérique en français) est un format d'enregistrement vidéo professionnel sur bande magnétique développé par Sony en 1993.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Betacam_numérique

[10] Keep Moving Images. Preservation information for artists working with the moving image, "Video: Formats", http://kmi.lux.org.uk/video/formats.htm.

[11] "To digitise video is to use a digital videotape to record the information produced by an analogue video, encoding as it goes."

http://kmi.lux.org.uk/video/digitization.htm

[12] Keep Moving Images. Preservation information for artists working with the moving image, "Video: Formats", op.cit.

[13] AMIA, "Videotape Preservation Fact Sheets", http://www.amianet.org/resources/guides/fact_sheets.pdf.

[14] Ibid. “Acceptable extended-term storage conditions for polyester-based magnetic tape, such as videotape, are: 20°C (68°F) and 20-30% RH; 15°C (59°F) and 20-40% RH; or 10°C (50°F) and 20-50% RH. The best long-term storage temperature is approximately 8°C (46°F) (never below) and 25% RH. Humidity variation should be less than ±5% RH and the temperature variation should be less than ±2°C (±4°F) within a 24-hour period.”

[15] La haute définition (HD) est un terme utilisé pour désigner un ensemble de normes vidéo numériques. Il représente une évolution de la qualification de définition « standard », SD (Standard Definition).
http://fr.wikipedia.org/wiki/Haute_Définition

[16] Le disque Blu-ray ou Blu-ray Disc (abréviation officielle BD, autre dénomination B-RD) est un format de disque numérique breveté et commercialisé par l’industriel japonais Sony qui permet de stocker et de restituer des vidéogrammes en haute définition.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Disque_Blu-ray