Accueil IV. Droit d'auteur 1. Les droits des artistes et ceux des musées

1. Quels sont les droits des artistes et ceux des musées au Canada et à l’étranger?

Canada

Au Canada, la Loi sur le droit d’auteur protège les artistes quant à la propriété intellectuelle de leurs œuvres, qu’elles soient littéraires (y compris les plans d’architecture et les programmes d'ordinateur), artistiques, dramatiques ou musicales. On parle ici d’œuvres originales, et non pas de copies, produites par un ou plusieurs créateurs.

 

Les œuvres dont l’Internet est le support technologique sont également protégées par le droit d’auteur. Ce support donne toutefois lieu à des situations nouvelles et complexes. Selon Richard Rinehart, auteur de Bien fixer les éléments d’information : L’art numérique et la propriété intellectuelle, il existe peu de précédents sur lesquels se baser puisque cette pratique artistique est en émergence et que les décisions juridiques se prennent à la lumière de pratiques collectives déjà établies.

 

La Loi sur le droit d’auteur se divise en deux parties : les droits d’auteur et les droits moraux. Le droit d’auteur est d’ordre patrimonial et protège, entre autres, les intérêts pécuniaires de l’artiste. Il permet de gérer la reproduction de l’œuvre sous une forme matérielle quelconque, sa présentation au public par télécommunication ou son exposition publique à des fins autres que la location ou la vente. Par ailleurs, le créateur d’une œuvre ne détient pas de droit d’auteur lorsqu’il agit en tant qu’auteur-employé ou lorsque l’œuvre a fait l’objet d’une commande rémunérée. Quant au droit moral, il reconnaît et défend l’individualité de l’artiste. Il protège ainsi l’intégrité de l’œuvre, reconnaît la paternité de l’artiste sur sa création et lui permet de garder l’anonymat. Ces acquis ne peuvent pas être cédés, mais, au Canada, ils sont toutefois susceptibles de renonciation.

 

Droits de l'artiste

Droits d’auteur sur l’œuvre

• Adaptation

• Reproduction

• Publication et mise en marché

• Exécution publique

• Présentation au public par télécommunication

• Location

• Exposition publique

• Rémunération

 

Droits moraux sur l’œuvre

• Intégrité

• Paternité

• Anonymat

 

Au Canada, le droit d’auteur et le droit moral sont automatiquement accordés à l’artiste qui crée une œuvre originale. Ces droits s’exercent pendant la vie de l’auteur et subsistent jusqu’à la fin de la cinquantième année suivant son décès.

 

Dans les situations où il y a plus d’un auteur, la Loi prévaut pendant une période de cinquante ans après la mort du dernier collaborateur. Des contrats plus spécifiques peuvent aussi être rédigés afin de donner des droits aux programmeurs ou aux assistants qui interviennent dans le processus de création.

 

La reproduction d’une œuvre par un musée à des fins internes de gestion des collections ne constitue pas une violation du droit d’auteur. Elle peut être effectuée pour des besoins de gestion ou de conservation d’une œuvre originale faisant partie d’une collection permanente qui se détériore, est abîmée, ou dont le support est désuet ou encore, fait appel à une technique non disponible. Lorsqu’il s’agit d’une reproduction pour toute autre fin, le musée doit obtenir l’autorisation de l’artiste.

 

Droits de l'institution muséale

• Reproduction d’une œuvre rare et non publiée qui se détériore

• Reproduction d’œuvre détériorée pour consultation

• Reproduction d’une œuvre fixée sur un support désuet

• Reproduction d’une œuvre à des fins de catalogage

• Reproduction d’œuvre à des fins d’assurance et d’enquête policière

• Reproduction de l’œuvre à des fins de restauration

 

Les musées ont la responsabilité de respecter l’intégrité des œuvres après acquisition. Il est souhaitable qu’ils définissent les meilleures stratégies de conservation pour les œuvres de nouveaux médias. À cet effet, certaines institutions ont développé des questionnaires et des formulaires de catalogage destinés aux artistes afin de recueillir des renseignements sur les œuvres pour simplifier la procédure de conservation. Les artistes deviennent alors médiateurs et facilitateurs, transformant à la fois le rôle traditionnel de l’artiste et du conservateur de musée. Les œuvres de nouveaux médias exigent une collaboration des plus étroites entre les artistes et les conservateurs au moment de l’acquisition et lors d’expositions.

 

Pour consulter les documents mentionnés :

Questionnaire destiné à l’artiste, relatif à son œuvre

Formulaire de catalogage

 

Exemple : Tlön (2003), Christine Davis

L’œuvre Tlön or how I held in my hands a vast methodical fragment of an unknown planet’s entire history de l’artiste Christine Davis, acquise par le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), est une installation composée de deux projecteurs présentant des diapositives d’images de phénomènes cosmiques sur un écran de papillons. La conservation de Tlön est complexe en raison de la nature délicate de l’écran de papillons et de l’utilisation de technologies appelées à devenir obsolètes. Les projecteurs, contrôlés par un logiciel qui règle la cadence, la luminosité et la transition en fondu des diapositives, prennent de l’âge et ne sont plus fabriqués.

 

Dans une entrevue avec Christine Davis quelques années après l’acquisition de Tlön, le Musée a appris que l’artiste considérait cette œuvre comme étant éphémère et que par conséquent, les matériaux qui la composent ne devraient pas être remplacés dans une optique de conservation permanente. Bien que l’artiste accepte que les diapositives soient transférées sur un support numérique, elle refuse toute exposition de l’œuvre avec un nouveau dispositif car elle estime qu’il en résulterait une version édulcorée de l’œuvre originale. Christine Davis considère que ces composants technologiques forment un tout et qu’ils font partie intégrante de l’œuvre. Afin d’en respecter l’intégrité telle que définie par l’artiste, le MBAM doit envisager qu’il soit éventuellement impossible d’exposer Tlön. L’artiste a donc recommandé de produire un film 35 mm à haute résolution témoignant de l’articulation de l’œuvre. À long terme, un document audiovisuel attestera néanmoins de son existence.

 

Europe

La majorité des pays de l’Union européenne se réfère au concept de droit d’auteur issu du droit civil en ce qui concerne la propriété intellectuelle, à l’exception du Royaume-Uni et de l’Irlande, qui s’en tiennent à la notion de copyright issue du droit commun. La protection de droit d’auteur est applicable pour une durée de soixante-dix ans après la mort de l’artiste. Quelques exceptions existent toutefois : en Espagne, la loi sur le droit d’auteur s’applique pour une durée de quatre-vingts ans, tandis qu’en France, sa durée est de quatre-vingt quatre ans et deux cent trois jours pour les artistes dont les carrières ont été affectées par les guerres mondiales.

 

Tout auteur dispose de droits patrimoniaux et de droits moraux sur son œuvre.

 

Les droits patrimoniaux comprennent le droit de représentation, le droit de reproduction et le droit de suite. Le droit de suite permet à l’auteur de percevoir un certain pourcentage du prix de revente de son œuvre si la transaction a été effectuée par un professionnel du marché de l’art (maisons de vente aux enchères, galeries ou tout autre marchand d’art) et ce, quel que soit l’endroit dans l’Union européenne où elle est revendue.

 

Les droits moraux sont, quant à eux, inaliénables et incessibles, de sorte que l’auteur ne peut pas y renoncer. Ces droits sont perpétuels, donc subsistent même une fois l’œuvre entrée au domaine public. Les droits moraux les plus communs sont :

 

• Droit de divulgation (droit de mettre son œuvre à la disposition du public et de choisir ses modes de divulgation);

• Droit de repentir ou de retrait (droit de retirer son œuvre du marché postérieurement à sa publication);

• Droit de paternité (droit de voir son nom indiqué sur toute reproduction ou représentation de son œuvre à moins que l’auteur ne souhaite garder l’anonymat);

• Droit au respect de l’œuvre (droit qui interdit toute suppression, modification et altération de l’état matériel et de l’esprit de l’œuvre);

• Droit de s’opposer à toute atteinte préjudiciable à l’honneur et à la réputation.

 

États-Unis

Les États-Unis ont tenté d’harmoniser leur législation sur le droit d’auteur avec celle de l’Union européenne en adhérant à la Convention de Berne en 1989 et en promulguant, en 1990, le Visual Artists Rights Act (VARA). Cette loi entérine deux des droits moraux reconnus en Europe, le droit de paternité et le droit au respect de l’œuvre, en particulier dans le cas des tableaux, des dessins, des gravures, des sculptures et des photographies réalisés exclusivement à des fins d’exposition et produits en un seul exemplaire ou en éditions limitées de 200 ou moins signées par l’artiste. Les formes d’expression (et non les idées) d’un artiste sont protégées par le droit d’auteur pour une période de 70 ans après le décès d’un artiste, à la suite de quoi son œuvre relève du domaine public. Contrairement à la Loi sur le droit d’auteur du Canada, le VARA n’accorde pas aux créateurs la liberté de modifier leur œuvre après l’acquisition par un tiers.

 

En outre, les États-Unis ne reconnaissent pas les droits de suite (Resale Royalty Rights). Le gouvernement fédéral s’est prononcé contre l’adoption de ce type de droits mais exceptionnellement, la Californie accorde des redevances de 5 % sur la revente de toute œuvre d’art par les artistes locaux à l’intérieur de l’État ou ailleurs.